Les discriminations et les conflits liés au mode de vie itinérant concernent souvent le lieu de stationnement. Le guide se penche donc sur les questions ayant trait à la création de nouvelles aires d’accueil permanentes, à la gestion de ces aires et aux haltes spontanées sur des terrains privés ou publics.
Création d’aires de séjour, de passage et de transit permanentes
Exemple: les représentants politiques d’une commune s’opposent à la création de nouvelles aires d’accueil pour les personnes ayant un mode de vie itinérant.
L’aménagement du territoire et le droit des constructions sont essentiellement conçus pour la population sédentaire. Même si l’art. 3, al. 3, LAT prévoit que les territoires réservés à l’habitat et à l’exercice des activités économiques doivent être aménagés selon les besoins de la population, le nombre d’aires de séjour et de passage reste insuffisant à l’heure actuelle. Le Tribunal fédéral considère que l’aménagement du territoire doit prévoir des aires d’accueil qui conviennent aux personnes ayant un mode de vie itinérant et leur permettent de conserver leur mode de vie traditionnel, qui est notamment protégé par le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CDEH et 13 Cst.). Pourtant, dans plusieurs votations communales et cantonales, une partie de la population s’est opposée à la création de ces aires de séjour, de passage et de transit.
Selon l’Office fédéral de la culture (OFC), on dénombre en Suisse près de 2500 personnes ayant un mode de vie itinérant, qui ont besoin d’avoir suffisamment d’aires de séjour et de passage. La fondation Assurer l’avenir des gens du voyage suisses estime que 40 aires de séjour et 80 aires de passagesont nécessaires d’ici à 2020, ainsi que douze grandes aires de transit pour les personnes venant de l’étranger.
Gestion des aires d’accueil
Exemple: les usagers d’une aire de séjourse sentent discriminés parce que les autorités leur demandent de détruire l’annexe qu’ils ont ajoutée à une construction provisoire.
Pour gérer les aires de séjour, de passage et de transit officielles, les communes et les cantons édictent des règlements et concluent des contrats avec les usagers pour la location à long terme de places de stationnement (hivernales). Cette réglementation peut provoquer de graves conflits entre les usagers et les autorités compétentes, notamment à cause de son contenu, de son application par un surveillant sur place ou de la manière d’attribuer lesdites aires. Inviter les usagers à la discussion, consulter leurs associations et impliquer la fondation Assurer l’avenir des gens du voyage suisses dans l’élaboration des directives et des règlements peut favoriser une meilleure compréhension des attentes réciproques et prévenir les conflits. Les règlements potentiellement discriminatoires peuvent être attaqués en justice.
Location temporaire d’un terrain (halte spontanée)
Exemple: un agriculteur est d’accord de louer son terrain à des personnes ayant un mode de vie itinérant pour une durée limitée. Cependant, la commune a promulgué une interdiction générale du camping sur son territoire.
La « halte spontanée » est un type de stationnement important parallèlement aux arrêts sur les aires officielles. Pour une durée déterminée, des particuliers, par exemple des agriculteurs, mettent à la disposition des personnes ayant un mode de vie itinérant un terrain qui est habituellement destiné à une autre utilisation. Du point de vue de l’aménagement du territoire, ces haltes spontanées ne nécessitent pas d’autorisation particulière – y compris en zone agricole –, lorsque le nombre de caravanes est raisonnable, que le stationnement ne dure pas longtemps (au maximum quatre semaines) et que l’agriculteur ne loue son terrain que sporadiquement (au maximum deux fois par année). Par contre, il est interdit d’effectuer des travaux de construction et de porter atteinte à l’environnement (p. ex. en stationnant sur un site marécageux protégé).
Dans ce domaine, les discriminations sont souvent indirectes. Par exemple, une interdiction générale du camping a des conséquences beaucoup plus importantes sur les personnes ayant un mode de vie itinérant que sur les personnes sédentaires, car elle bannit de fait les haltes spontanées. Or, il faut rappeler que l’ art. 8, al. 2, Cst. prescrit que nul ne doit subir de discrimination du fait de son mode de vie.
Explications
Art. 8 Cst.: égalité devant la loi
1 Tous les êtres humains sont égaux devant la loi.2 Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique.
3 L’homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale.
4 La loi prévoit des mesures en vue d’éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées.
Commentaire:
En matière de lutte contre la discrimination raciale, le principe général de l’égalité en droit (al. 1) et l’interdiction générale de discriminer (al. 2) revêtent une importance particulière. Ils représentent des droits constitutionnels dont toute personne physique (particuliers) peut se prévaloir, indépendamment de sa nationalité. Les personnes morales (sociétés de capitaux, associations, fondations, etc.) peuvent aussi se prévaloir du principe d’égalité fixé à l’al. 1.
L’art. 8 Cst. s’applique à tous les échelons de l’État (Confédération, cantons, communes et autres organes de l’administration), aussi bien dans la phase d’élaboration du droit que dans son application. À noter toutefois que cette disposition ne lie en principe que l’État et qu’elle n’est donc applicable que de manière très restreinte aux relations entre particuliers.
Le principe d’égalité de l’al. 1 n’est pas absolu. Il arrive qu’une inégalité de traitement soit justifiée par des raisons objectives: elle est dans ce cas licite, voire obligatoire. Par exemple, les prestations de l’aide sociale varient en fonction du statut de séjour d’un individu.
L’interdiction de discriminer fixée à l’al. 2 représente une application particulière du principe d’égalité et constitue en quelque sorte l’essence de l’art. 8 Cst. Toute inégalité de traitement fondée sur l’une des caractéristiques mentionnées à cet alinéa est illicite, à moins qu’elle repose sur une justification dite qualifiée, c’est-à-dire qu’elle est proportionnée au but visé et justifiée par un intérêt public (par analogie à l’art. 36 Cst.). L’interdiction de discriminer s’applique indépendamment de l’intentionnalité de l’acte et frappe les discriminations aussi bien directes qu’indirectes.
Explications
Discrimination indirecte
Il y a discrimination indirecte lorsque des lois, des politiques ou des pratiques aboutissent, en dépit de leur apparente neutralité, à une inégalité illicite.
Le Tribunal fédéral parle de discrimination indirecte lorsqu’une disposition qui, dans sa formulation, ne présente pas de caractère discriminatoire, a pourtant un tel effet dans la pratique, de manière particulièrement prononcée et sans juste motif, à l’encontre d’un groupe spécifiquement protégé contre la discrimination. (ATF 129 I 217, consid. 2.1, p. 224).
Explications
Discrimination directe
Le Tribunal fédéral parle de discrimination directe lorsqu’une personne subit une inégalité de traitement sur la seule base de son appartenance à un groupe qui, par le passé et dans la réalité sociale actuelle, a tendance à être exclu ou dénigré. La discrimination peut être décrite comme un acte qualifié d’inégalité de traitement entre des personnes placées dans des situations comparables, qui a pour conséquence de désavantager une personne et que l’on doit considérer comme un dénigrement ou une exclusion car il se fonde sur une caractéristique de la personne qui constitue un élément essentiel et indissociable, ou difficilement dissociable, de son identité. (1re occurrence dans ATF 126 II 377, consid. 6a, p. 392 ss.).
Qu’elle soit directe ou indirecte, la discrimination se distingue de l’inégalité de traitement, qui se fonde quant à elle sur des critères ou des motifs licites.
La liste des caractéristiques mentionnées à l’al. 2 n’est pas exhaustive. Par origine, on entend la provenance géographique ou l’appartenance ethnique, nationale ou culturelle qui constitue l’identité d’une personne. Les inégalités fondées sur la nationalité relèvent en premier lieu de l’al. 1. Devenu aujourd’hui obsolète en Europe, le terme de race renvoie quant à lui à des caractéristiques telles que la couleur de peau ou l’ascendance. Enfin, les droits liés à la langue et aux convictions sont réglés plus spécifiquement dans d’autres dispositions (liberté de la langue, art. 18 Cst., liberté de conscience et de croyance, art. 15 Cst., libertés d’opinion et d’information, art. 16 Cst.).
Il est important de dénoncer immédiatement toute violation des normes internationales (notamment l’art. 5, let. e, ch. i, ICERD). Si la plainte est rejetée par le tribunal suisse de dernière instance (en règle générale le Tribunal fédéral), il est possible de recourir contre cette décision auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) ou du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD).
Explications
Appliquer le droit international
Le plaignant peut, sous certaines conditions, s’opposer au jugement en dernière instance (il s’agit la plupart du temps du Tribunal fédéral) en formant recours auprès d’une instance internationale. Dans les cas de discrimination raciale, il s’agit principalement de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) et du Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD).Pour déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, il faut déjà avoir invoqué une violation de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) devant la première instance nationale et avoir épuisé toutes les voies de recours nationales. Par ailleurs, la violation de l’interdiction de discriminer (art. 14 CEDH) ne peut pas être invoquée seule, mais uniquement en rapport avec un autre droit garanti par la convention, comme le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) ou la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9 CEDH). Lorsque toutes les procédures de recours sont épuisées au niveau national, il est aussi possible d’intenter une procédure auprès du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. À noter que dans ce cas, il n’est pas nécessaire d’avoir invoqué au préalable une violation de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ICERD).